Rudolph Steiner comprit assez vite que personne ou presque ne comprendrait son essai paru en 1894, intitulé "La Philosophie de la Liberté" !
Voici ce qu'il en disait en 1914, ce afin de voir si nous sommes désormais plus à même d'intégrer ce constat ébouriffant :
" On s'aperçoit que ce moi conscient de soi-même ne fait pas l'expérience de son isolement en lui-même et de sa situation en dehors du monde objectif, mais que bien plutôt l'état de séparation dans lequel il se trouve à l'égard de ce monde, n'est qu'un phénomène de la conscience qui peut être surmonté, surmonté par le fait que l'on peut comprendre ceci : en tant qu'être humain, on possède à un certain stade de l'évolution une forme transitoire du moi pour la raison que l'on chasse de la conscience les forces qui unissent l'âme au monde! " 1
En ce sens, peut-on avancer, et avant de développer, que la crise d'adolescence du moi culmine chez Kant ? ...
Depuis les hauteurs de la Sierra Nevada, les Kogis n'ont jamais été confrontés à l'énigme de la "chose en soi"!
Longtemps préservés de tout contact, culturel ou sexuel, avec "L'exil occidental", cet "enfant prodigue", son aventure intellectuelle, ses dérives, individualiste et matérialiste, les Kogis n'ont apparemment pas eu à subir, à tout le moins désormais par le biais de leurs chamans 2, cette séparation dont parle Steiner !
Selon ce que l'on peut déduire du témoignage de ceux qui les ont approchés, le "moi" ne semble pas chez eux fondamental, "insérés" au coeur d'un groupe qui privilégie l'harmonie et le partage entre ses membres, comme celle de chacun avec le grand tout, vécue non pas comme un concept, comme des mots vides de sens, mais organiquement, viscéralement ! ...
Mais il y a plus !
" ... pour la raison que l'on chasse de la conscience les forces qui unissent l'âme au monde ..."
Profitant des largesses de l'uchronie, ne voyons nous pas ces adeptes d'une autre chasse répondre à Descartes que la nature, vexée au plus profond de son âme, meurtrie, de n'être plus qu'une "étendue", revendique à cor et à cri un regain de respect, du moins pour qui sait encore l'entendre, ajoutant à l'attention du goujat impénitent, du voleur de conscience, que l'on n'entre pas dans une forêt sans lui en demander au préalable la permission !
Aux détracteurs de Kepler ils auraient rétorqué, intrigués par notre ignorance crasse, que la musique des sphères est une réalité, se montrant très étonnés, attristés serait plus exact, de notre affligeante indigence, de ce que nous n'entendions vraiment plus le chant des étoiles ! 3
A leurs yeux nous ne sommes pas des magiciens, pas non plus des "grands frères", non, des petits "frères", des "amputés", des "non aboutis" !
Pour une fois, grande première, nous sommes à notre tour l'objet d'une certaine condescendance, bienveillante en l'occurrence ! ...
A suivre ! ...
1- "Les Enigmes de la Philosophie" Tome 2, page 293.
2 - N'est-il pas remarquable que leur longue initiation corresponde sur plusieurs points à celles des aèdes grecs, du barde gallois, du file irlandais ?
3 - Pour découvrir cette "étrange" relation des Kogis avec la nature, et partant imaginer ce que nous avons perdu en raison de notre état de séparation désormais inconscient, pointé par Rudolph Steiner en 1894, voir et revoir : "Le soleil est-il conscient?" de Patrice Van Eersel, ainsi que les travaux le leur ambassadeur et protecteur, Eric Julien.