Pour une nouvelle anthropologie ! ...

Le blog intitulé "La Porte des Lions" est désormais lu dans de très nombreux pays, sans pour autant jamais mettre en avant son auteur, ses éventuelles convictions, si ce n'est les questions qu'il se pose et se propose de vous soumettre !

Profitant de cet anonymat favorable, je sollicite votre jugement, purifié a priori de tout a priori, quant à cette toute nouvelle méthode d'investigation de notre origine psychique, et qui consiste à confronter des témoignages d'expériences "extrasensorielles" à ces textes antiques dont la sagesse attend la nôtre depuis plus de deux millénaires !

J'appelle donc, sous une lumière nouvelle, à défaut de vos applaudissements, ces grands metteurs en scène de la tragédie humaine que sont les mythes, ainsi que ces hommes célèbres qui, selon notre dernière lubie, n'auraient pas vécu !

Pour être nouvelle, la confrontation aura lieu ce jour entre deux textes qu'apparemment tout sépare : le temps, l'espace, la culture !

Il s'agit d'un passage des "Conquêtes spirituelles de La Mecque" d'Ibn Arabi 1, d'une part, et de ces deux mythes organiques grecs que sont "Le rapt de Perséphone" et celui de Dionysos, d'autre part !

Pour peu que l'on sache lire les mythes, découvrant ébahis leur prodigieuse sagesse, ces différents textes s'éclairent mutuellement, découvrant dans cette nouvelle lueur, des pans entiers de notre histoire, de nos évolutions dont nous n'avions plus mémoire ! ...

Commençons par cette expérience extrasensorielle, mystique pour le dire autrement, relatée par Ibn Arabi :

" ... En elle, dans cette terre céleste qu'est la terre intelligible 2, j'entrais un jour en une assemblée, dite de la miséricorde ... je ne verrais pas une assemblée plus étonnante que celle-là ... toutes les réalités sont dotées de logos, et toutes sont vivantes ... la vie de tout vivant, y compris les objets, est douée de logos, c'est-à-dire d'esprit ... personne n'est en conflit avec quiconque ... tous se réjouissent de la présence de tous ... ici triomphe l'Un ... chacun d'eux voit son soi dans le soi de son voisin ... c'est la cité de la transparence ..."

Ici Christian Jambet, brutalement, se distancie du récit, geste à l'appui et incise meurtrière : "D'aucuns pourraient penser qu'il s'agit de l'enfer !"

Nous allons donc partir du commentaire de cet intellectuel occidental ouvert aux mystères de l'Orient, de ce mélange de surprise et de recul - si je ne surinterpréte pas ! - que nous pourrions faire nôtre, tant cette description nous paraît factice, bouscule à tout le moins nos défenses, notre ego, bref, tout ce qui nous permet d'avancer, pour le pire et le meilleur ! ...

Christian Jambet a-t-il mit ainsi sa propre opinion à l'abri de celle de ses contemporains, se contentant de la mentionner par ce "d'aucuns" précautionneux ?...

Quoi qu'il en soit, cette réaction en dit long sur notre oubli d'un temps où la conscience était collective, non locale, non propriétaire, où l'ego et l'intellect attendaient leur tour sous l'horizon de l'histoire !

Ce psychisme dont nous n'avons plus souvenir, plus aucune trace, si ce n'est dans les mythes que nous réduisîmes au silence dans le même temps que nous martelions les bas-reliefs, c'est ce temps long, onirique, qui précède le rapt de Perséphone et la mise en pièces de Dionysos Zagreus ...

Le discrédit plus de deux fois millénaire, jeté sur les mythes !

Bien avant la mise à l'index de ces récits "païens" par l'Eglise de Rome, Platon avait porté un coup fatal à cette mine à ciel ouvert que devraient être les mythes pour les anthropologues en quête de vérité !

Ce n'est pas en qualifiant de "contes de nourrice" ceux de son enfance, mais, paradoxalement en en concevant de nouveaux à des fins pédagogiques, fussent-ils talentueux, qu'il décrédibilisa ces trésors de sagesse ...

Sa problématique, tout autre que celles des mythes anciens, était de familiariser certains de ses élèves à des concepts difficiles, au moyen d'un récit inventé de toutes pièces ...

Ainsi fera le Galiléen, plusieurs siècles plus tard, s'adressant aux foules accourues, au moyen de paraboles ...

Le problème n'est donc pas d'avoir habillé ses concepts de récits fictifs à cette époque où la froide raison s'était déjà installée sous le crâne des hommes, le problème vient de notre anachronisme, saturé d'oubli, car les mythes ne sont pas des concepts déguisés, mais furent mis en récit alors que l'intellect attendait son tour sous l'horizon de l'histoire, la relation de l'Homme à l'univers étant alors de nature onirique, clairvoyante, peuplée d'images signifiantes ... 

Fort heureusement, nous ne nous poussons plus du col au détriment de nos anciens, affublés longtemps d'une représentation sottement anthropomorphique, ainsi habillés pour l'hiver de la pensée !...

Baissant d'un ton, nos chercheurs occidentaux proposent désormais cette idée selon laquelle nos ancêtres auraient "personnalisé" ce que nous concevons désormais comme des forces, des sentiments, des passions etc. 

Nous nous contenterons donc pour l'instant de cette nouvelle approche légèrement moins péjorative mais tout aussi anachronique !

Pour convertir les chaudes images des mythes, et pour l'heure, celles du "rapt de Perséphone" ou  de la genèse de Dionysos, en concepts froids et abstraits,  deux exemples : Hera, épouse de Zeus, personnifie la jalousie, donc la séparation, le morcellement; Athéna représente la toute nouvelle raison, celle qui tente de rassembler ce qui gît désormais à l'état d'éparpillement  !

Revenons à la prudente prise de distance de Christian Jambet à cet épilogue du témoignage, précédée par ce "d'aucuns" distanciateur et/ou complice : 

"... chacun d'eux voit son soi dans le soi de son voisin ... c'est la cité de la transparence ... d'aucuns pourraient penser qu'il s'agit de l'enfer !" 

Quoi qu'il en soit de ce que pense réellement notre académicien, ce recul violent, quasi épidermique, n'en dit-il pas long sur l'état délabré de notre mémoire ? 

C'est dire en effet si nous avons oublié que l'individu, vous savez, celui qui dit "moi" à tout bout de champ, l'alourdit d'un "je", au cas où on n'aurait pas aperçu l'imposante muraille derrière laquelle il guette tout ce qui n'est pas lui, l'autre, le tout autre, jaugeant l'intrus : "ami, ennemi, semblable, anormal ?" ... bref, de ce mutant, enfin aperçu par nos chercheurs, alors qu'il foulait d'un pas léger et conquérant le sol grec, quelque part entre Homère et Socrate !

De ce premier de cordée, nous ne savons plus rien ! ...

Aucun arbre généalogique ne nous dit qu'il est notre premier ancêtre !

Nous ne saurions d'ailleurs l'entendre, trop occupés que nous sommes de notre corps, de son éventuelle proximité avec celui qui nous imite, peu soucieux de notre véritable différence, de notre âme en ses tribulations ...

Conscience collective ou propriétaire ?

Si la physique quantique vient à point nommé rabattre le caquet de notre légendaire bon sens, l'innovation du "cloud" en informatique pourrait nous permettre d'éclairer le passage fondamental, oublié, en sens inverse il est vrai, de l'âme groupe à  celle "propriétaire" de l'individu !

Nous parlons là d'un "sentiment" de propriété dont on ignore la jeunesse, quand le mythe nous convie au déroulement du drame qui aboutit à cette conviction comme allant de soi ! ...

1er acte : à l'instigation d'Hera, les titans4 mettent Dionysos Zagreus en pièces !

Ce premier Dionysos, dont nous n'avons plus souvenir, et pour cause, enfant de Zeus et de Perséphone, personnalise la conscience collective, l'âme-groupe, si vous préférez !

Il est par conséquent un rejeton des dieux. A la surface de Gaïa, l'individu, ce mutant, ce futur réceptacle du "moi", de l'ego, si vous préférez, attend son heure sous l'horizon de l'histoire ...

Athena, personnalisation de la toute nouvelle raison, récupère son coeur pour l'amener à Zeus qui, après un stage dans sa cuisse, propre à déclencher les foudres de notre niaiserie, va en ensemencer Sémélé, une simple mortelle !

2ème acte : Dionysos, celui que dont le nom nous dit encore quelque chose, représentant alors l'autre, le tout autre, le différent, installe le chaos dans une société pétrifiée, hiérarchisée, où la plus petite unité est la tribu !

Nous sommes, vous, moi, les descendants de ce deuxième Dionysos, récupérateurs chacun d'une miette de la conscience collective, exclus du spectacle grandiose de l'esprit à l'oeuvre, condamnés à la liberté, sous l'oeil vorace de l'ego, exclusif, attentif,  prêt à nous jeter aux oubliettes de cette nouvelle prison !




A suivre ! ...

1 - Voir la conférence de Christian Jambet, membre de l'Académie Française et continuateur de l'oeuvre d'Henry Corbin. (Sur You tube en date du 4 août 2014).

2 - Le monde intelligible désigne chez Platon, le monde spirituel !

3 - "Baissant d'un ton", mais toujours aussi anachroniques, ne sachant plus que les mythes sont les récits d'un accès direct en images aux mystères de l'univers, à une époque où la pensée conceptuelle attend encore son heure sous l'horizon de l'histoire !

4 - Le mythe ne parle pas pour ne rien dire : les titans sont nos cinq sens dont l'emprise peut s'avérer titanesque ! Ils seront désormais notre seul mode de contact avec le mystère de l'univers, la vision en esprit ou clairvoyance s'estompant simultanément. C'est ce qu'exprime le Rapt de Perséphone !


 

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