Qui a décoché la flèche du temps ?

Comme certains d'entre vous ont pu le remarquer, le thème du temps semble être à nouveau dans l'air du temps ! 1

Celui qui fut à tort bombardé "père de la bombe atomique", en raison de raccourcis dont la doxa a le secret, fut par contre à l'origine de la remise en cause de cet absolu insaisissable qui nous accompagne de la naissance à la mort !

Emportés que nous sommes par un avenir pressé d'en finir, le temps d'un regard furtif vers ce passé qui n'a pas toujours le bon goût de disparaître ! 2 ...

Cette bombe à retardement commence depuis peu à fragmenter dans l'espace en expansion de ceux nombreux qui s'intéressent désormais à la physique, à son insolence, lassés vraisemblablement de l'étrange frelaté des films de science fiction ...

Flèche du temps ou cercle vicieux ?

Il fut un temps où celui qui nous attend n'avait pas voix au chapitre !

"Telles les générations des feuilles, telles celles des hommes. Les feuilles, il en est que le vent répand à terre, mais la silve luxuriante en pousse d'autres ... de même les générations des hommes, l'une pousse, l'autre s'achève ..."

Iliade, VI, Homère.

La recherche officielle, sous l'égide de l'excellent Jean-Pierre Vernant 3, l'a établi "récemment" : au temps d'Homère, le temps est encore cyclique. En attendant l'entrée sur scène d'un mutant nommé individu, l'Homme est tout aussi peu singulier qu'une feuille perdue dans la frondaison !

Le temps vectoriel, le nôtre désormais, symbolisé par la flèche du temps, pointe le bout de son nez quelque part entre Homère et Socrate ... tandis qu'apparaît, il faut y insister, un mutant,  : l'individu, ce nouvel homme intériorisé, revendicatif, en quête de salut et d'isonomie, futur citoyen ...

Vous savez, celui qui ne se déplace plus sans son ambassade rapprochée, sans ce "je" territorial !  

Il se trouve que ce bouleversement psychique, cette genèse de ce que nous sommes devenus, vous, moi, et tous les autres, est bien documenté en Grèce, à partir du VIIème siècle avant J.C.

L'avantage de ce dernier nouveau départ, si l'on privilégie ce qui nous caractérise vraiment, c'est qu'il  ne contrarie pas notre intelligence, devenue intraitable, et qui avait précédemment disqualifié l'initial, cette révélation faite à Moïse, à tout le moins la lecture indigente de ceux qui n'en avaient plus aucune intelligence 4 ! ... 

Le temps est ma représentation ! 

Après que les physiciens aient mis les pieds dans le plat, abattu la statue du commandeur, nous en sommes arrivés à penser que le temps a fait son temps, n'ayant pas d'existence propre, à tout le moins homogène !

Tributaire ici de la gravité, là-bas de la vitesse, n'en faisant qu'à sa tête, il a besoin d'être interprêté en temps réel, afin que le GPS ne nous projette pas du haut d'une falaise ou nous amène dans un champ que ne traverse nulle voie, fut-elle romaine ...

Les nouveaux nominalistes 5 nous diront qu'il n'est qu'un mot, une mise en scène inconsciente de l'incessant déroulement des phénomènes, le tout premier d'entre eux étant l'entropie croissante ...

Voilà qui peut tout à la fois exciter nos neurones et refroidir l'atmosphère, selon l'humeur, car certains, enclins à transposer, envisageront alors cette inéluctable dégradation qui nous attend !

Cependant, pour nous qui avons depuis des lustres intériorisé beaucoup de choses, il s'agit-là tout au plus d'un douloureux rappel ...

Surgissement du "moi" et temps vectoriel : une boucle rétroactive ?

Mais, pour ces grecs nés quelque part entre Homère et Socrate, le passage d'un temps cyclique qui renouvelle tout ce qu'il détruit, les feuilles et les hommes, sans différence aucune ... à ce temps vectoriel, implacable, qui défie sans vergogne "ma" volonté de vivre, intériorisée, objectivée, est une véritable déflagration psychique, dont les marqueurs se bousculent désormais sous nos yeux dessillés !

Et c'est la complainte existentielle de la poésie lyrique, bientôt reprise en choeur dans la Tragédie, la quête inquiète du salut personnel, et pour quelques "happy few", les mystérieuses initiations qui permettent, le cas échéant, d'apprivoiser la mort !    

D'une manière plus générale, toutes les représentations se retrouvent "cul par-dessus tête" !

Cronos, le titan qui émascula Ouranos, devient Chronos, "le temps", concept un tantinet abstrait,  mais qui reprend vie lorsqu'il s'acharne à écourter la nôtre ! ...

Mnémosuné, personnalisation de l'oubli, et par conséquent de la mort, plie bagage : hier encore ouvreuse de la porte de l'Hades,  elle préside désormais aux naissances ...

La mort ne sanctionne plus la fin de la vie, mais préside à son départ !

En Grande Grèce (Italie du sud), dans le milieu confidentiel des mystères, l'âme ne se résout plus à disparaître avec le corps lorsque celui-ci se délite ...

Cette nouvelle représentation va trouver en Socrate et Platon de fervents vulgarisateurs ...  

En cet endroit du monde, tout cela est certes bien documenté, mais ailleurs, me direz-vous !

Comment ne pas remarquer qu'à la même époque, Gautama dit le Bouddha décrit cette vie comme un enfer, un puits d'ignorance et de souffrance, avant de s'acharner sur ce "moi" qui ne serait qu'une illusion, oubliant de signaler clairement que ce nouveau venu, ce coucou psychique, s'installe au détriment de feu la relation privilégiée de l'Homme avec le monde spirituel ! ...

Eloge de la fuite alors qu'était posé le problème central de notre liberté ! ...

Epilogue !

Nous n'en savons plus rien !

Nous ne savons plus que le temps dont nous parlons tout le temps n'a pas toujours existé !

Nous ne savons plus non plus que pour nos lointains ancêtres, dire "moi je" n'aurait eu aucun sens !

Ce que nous savons encore moins, c'est que ces deux-là, le temps vectoriel et l'individu, sont nés dans un mouchoir de poche temporel, au point que l'on pourrait se demander lequel des deux est "sorti" le premier !

Et comme il en est de certains jumeaux dont l'un commence une phrase que l'autre s'empresse de terminer, ou, si l'on préfère l'image de "l'oeuf et la poule", béni soit celui qui pourra établir lequel des deux a influencé l'autre ! ...


1- La dernière fois, c'était il y a quelque trois mille ans, et plus précisément, quelque part entre Homère et Socrate, tel que récemment observé en Grèce antique ! ...  

2 - "Connu" sous le tittre d'Univers-bloc, continuum d'espace temps que les grecs, devins et aèdes, fréquentaient sans la réassurance des équations...

3 - Mythe et pensée chez les Grecs - Etudes de psychologie historique.

4 - Si la bible, cette histoire du peuple juif, est une oeuvre novatrice en ce qu'elle convoque un temps vectoriel, la Genèse elle, ne peut se lire qu'à l'aune d'un temps cyclique, avec ses petits et grands cycles, ses répétitions mais sur un autre plan !

5 - Au XIIème siècle, le "moi" n'a plus à combattre pour s'imposer dans les consciences, aussi, surpris peut-être de son succès, commence-t-il à douter de ce qu'il estime être ses productions : le langage, la pensée ... De ce doute résulte le travail de sape, de déconstruction des universaux : le lion n'existe pas, c'est une commodité de langage, celui qui est devant moi n'est rien d'autre qu'un individu qui certes ressemble aux autres, mais est-ce là une raison pour en déduire un lion universel, une espèce ? 

Notre approche est légèrement différente, la physique a découvert que le temps n'est pas universel, aussi en déduisons-nous qu'il s'agit-là encore d'une de nos inventions, comme nos représentations ont coutume de le faire ! Enfermé dans son château fort, le "moi" doute de la vérité de ce qu'il perçoit des environs ...

C'est le problème toujours actuel de la connaissance, annoncé au Vème siècle avant J.C par Protagoras, père de la relativité conceptuelle : "L'Homme est la mesure de toute chose ...".  





Posts les plus consultés de ce blog

La matière noire signe-t-elle la fin du matérialisme ?

Comment tout a commencé ?

Penser l'inéluctable !

Fin d'une imposture trois fois séculaire !

En anglais, "confinement" veut dire "accouchement"! ...

Retour à Jérusalem (suite de l'extrait du 16/04/2020)

Jérusalem, début des années 30, par un beau mois d'avril...